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jumelle tout aussi belliqueuse. A cette distance, je n arrivai pas à
identifier les armoiries des voiles. Je priai pour ne pas voir
apparaître les étendards de mon père Nakamura Ito : dragon de
neige sur fond de sang.
Les guetteurs hurlaient. D autres soufflèrent dans leur hora-
gai. Et, contrairement à mes idées préconçues, les femmes ne se
mirent pas à geindre, à pleurer ou à implorer la grâce des dieux.
Elles s occupèrent de rassembler les enfants, de les enfermer
dans des maisons bien protégées et de prendre des armes.
Certaines plongèrent pour faire remonter les pêcheurs de
conques.
Musashi sortit de la hutte d Akiko, son katana à la ceinture,
la lame encore prisonnière de son beau fourreau laqué. Avant
que j aie pu lui adresser la parole, il grimpa au sommet d une
des tours de guet. Je savais que vu de là-haut, j avais la taille
d un petit scarabée, guère plus. Mon maître en redescendit à
une vitesse que je pensais étrangère au corps humain. Comme
j avais reconnu les étendards de mon père, je lui demandai ce
qu il allait faire.
« À ton avis ?
 Vous ne pouvez pas tuer les samouraïs de mon père.
 Pourquoi ?
 Parce que vous êtes mon maître et donc aux ordres de
mon père.
 Qui t a fait croire ça ? »
Je n avais pas de réponse à cette question. J ignorais bien
trop les règles qui unissent les rônin aux seigneurs qui leur
donnent du travail pour pouvoir dire quoi que ce soit. Alors, me
voyant perdu dans mon ignorance, il m expliqua sa vision des
choses :
« Je ne suis aux ordres de personne et surtout pas d un
seigneur comme ton père. Tu veux toujours arpenter la Voie du
Sabre, Nakamura Mikédi ? »
J acquiesçai.
« Alors, choisis ton camp ! »
Musashi s esclaffa et le bruit des canons des jonques de mon
père n arriva même pas à briser son hilarité. La fortification sur
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laquelle nous nous trouvions fut touchée et toute une partie de
l enceinte extérieure vola en éclats sur deux pas de long ; une
brèche assez importante pour que l ennemi puisse s y infiltrer.
Un boulet toucha un des monstres de Shô. Celui-ci rua sous
l effet de la douleur, donna de violents coups de nageoires,
brisant la ville posée sur son dos. Je tournai la tête pour voir les
pontons se rompre, les habitations verser dans les flots, de part
et d autre de l épine dorsale du monstre, qui se cambra encore
plus et plongea en créant une vague gigantesque.
Je m accrochai pour anticiper le tsunami  que mes yeux
d enfant jugèrent terrible, telle la fin de toutes choses  mais qui
se contenta de chahuter la ville qui m abritait.
Les autres monstres plongèrent doucement, sans se cabrer,
sans donner de coups de nageoires. Ils n avaient pas paniqué,
comme pour nous protéger de leur puissance. Ainsi, ils
rendirent aux flots deux des îles de Kido sans les briser, un peu
comme on confie un nouveau-né à son berceau. La ville
éparpillée flottait avec difficulté, certaines habitations avaient
coulé ; leurs occupants nageaient vers les deux autres cités
fortifiées.
Les canons tonnèrent à nouveau, soulevant de gigantesques
gerbes d eau autour des cités flottantes. J avais déjà vu ces
armes à plusieurs reprises, à la forteresse. Il s agissait
d immenses affûts en forme de dragon, déclinés à partir des
modèles portugais que mon père avait achetés lors des
premières années de son règne.
« Ils viennent pour l encre de Shô ! » cria un des pirates.
Mais son cri ne suscita aucune réaction particulière, il
traversa les oreilles sans y laisser la moindre empreinte : tous
savaient déjà pourquoi les samouraïs de mon père donnaient
l assaut.
Les fortifications ayant cédé, une sorte d affolement
guerrier régnait sur l île, les boulets avaient déjà fait quelques
victimes et les hommes ramassaient tout ce qui pouvait servir
d arme. Quelques femmes et la majorité des enfants étaient
couchés dans les habitations. Mais la plupart des villageoises et
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des adolescents avaient saisi des naginata25 ou des arcs. Les
femmes alignées sur les remparts  Akiko se trouvait parmi
elles  décochèrent plusieurs volées de flèches en direction des
jonques, alors que les adolescents préparaient des braseros pour
enflammer les projectiles suivants.
Je n avais bien sûr jamais assisté à la moindre bataille, mais
celle-ci me semblait d une stupidité sans nom. Je ne comprenais
pas l idiotie des samouraïs de mon père qui avaient attaqué de
jour, en force. Et je ne voyais pas comment les villageois
pouvaient lutter contre des hommes, nombreux, dont la guerre
était le métier.
Les premières flèches enflammées ne jaillirent des remparts
que lorsque les embarcations de mon père se trouvèrent à
portée de ces projectiles plus lourds.
Planté au milieu des archères, sur le côté droit des
fortifications éventrées, je regardais approcher les jonques. On
me demanda plusieurs fois de me mettre à l abri, de
m accroupir, de me cacher dans un coin. Akiko ordonna même à
Musashi de m emmener loin du chemin de ronde. Mais il
n écoutait pas, peut-être même n entendait-il pas... Accroupi sur
le ponton en contrebas, il avait fermé les yeux. Il attendait.
Je me déplaçai pour mieux voir les jonques. Je reconnus
quelques samouraïs : Kaitsu, Masao, Shigeoru. Ils étaient une
dizaine en armure complète : le kabuto26, extravagant, pour
protéger la tête ; des brassières en cotte de mailles ; le plastron
métallique à l épreuve des flèches et du plomb ; l haïdate27
renforcé pour protéger le bas-ventre et les cuisses. Des
jambières complètes, comportant elles aussi des protections
métalliques, complétaient le tout. Seule une coquetterie
grotesque ou la rigidité excessive des traditions guerrières
pouvait expliquer l allure des samouraïs de mon père ; ils
donnaient l assaut engoncés dans une armure qui les
empêcherait de nager s ils devaient tomber à l eau.
Une ashigaru de quarante fantassins formait le gros de
l assaut. Je vis quelques hommes préparer leurs arquebuses.
25
Lance à longue lame courbe.
26
Casque du samouraï.
27
Pièce d armure du samouraï.
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Visiblement, ces troupes ignoraient tout de ma présence. Dans
le cas contraire, ils n auraient jamais attaqué au canon ou à
l arquebuse. J aurais cru les espions de mon père bien mieux
informés... à moins qu il ne souhaitât ma mort, ce qui était
possible, puisque ma seule présence en ce lieu ne pouvait que [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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