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est la différence ? Et quelle est la caractéristique psychologique du sommeil ?
Ne nous fions pas trop aux théories. On a dit que dormir consistait à
s'isoler du monde extérieur. Mais nous avons montré que le sommeil ne ferme
pas nos sens aux impressions du dehors, qu'il leur emprunte les matériaux de
la plupart des songes. On a vu encore dans le sommeil un repos donné aux
fonctions supérieures de la pensée, une suspension du raisonnement. Je ne
crois pas que ce soit plus exact. Dans le rêve, nous devenons souvent indiffé-
rents à la logique, mais non pas incapables de logique. Je dirai presque, au
risque de côtoyer le paradoxe, que le tort du rêveur est plutôt de raisonner
trop. Il éviterait l'absurde s'il assistait en simple spectateur au défilé de ses
visions. Mais quand il veut à toute force en donner une explication, sa logique,
destinée à relier entre elles des images incohérentes, ne peut que parodier celle
de la raison et frôler l'absurdité. Je reconnais d'ailleurs que les fonctions supé-
rieures de l'intelligence se relâchent pendant le sommeil, et que, même si elle
n'y est pas encouragée par le jeu incohérent des images, la faculté de raisonner
s'amuse parfois alors à contrefaire le raisonnement normal. Mais on en dirait
autant de toutes les autres facultés. Ce n'est donc pas par l'abolition du
raisonnement, non plus que par l'occlusion des sens, que nous caractériserons
l'état de rêve. Laissons de côté les théories et prenons contact avec le fait.
Il faut instituer une expérience décisive sur soi-même. Au sortir du rêve -
puisqu'on ne peut guère s'analyser au cours du rêve lui-même - on épiera le
passage du sommeil à la veille, on le serrera d'aussi près qu'on pourra : attentif
à ce qui est essentiellement inattention, on surprendra, du point de vue de la
veille, l'état d'âme encore présent de l'homme qui dort. C'est difficile, ce n'est
pas impossible à qui s'y est exercé patiemment. Permettez ici au conférencier
de vous raconter un de ses rêves, et ce qu'il crut constater au réveil.
Donc, le rêveur se croit à la tribune, haranguant une assemblée. Un mur-
mure confus s'élève du fond de l'auditoire. Il s'accentue ; il devient gronde-
ment, hurlement, vacarme épouvantable. Enfin résonnent de toutes parts,
scandés sur un rythme régulier, les cris : « A la porte ! à la porte ! » Réveil
brusque à ce moment. Un chien aboyait dans le jardin voisin, et avec chacun
des « Ouâ, ouâ » du chien un des cris « A la porte t » se confondait. Voilà
l'instant à saisir. Le moi de la veille, qui vient de paraître, va se retourner vers
le moi du rêve, qui est encore là, et lui dire : « Je te prends en flagrant délit.
Tu me montres une assemblée qui crie, et il y a simplement un chien qui
aboie. N'essaie pas de fuir; je te tiens ; tu me livreras ton secret, tu vas me
Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 58
laisser voir ce que tu faisais. » A quoi le moi des rêves répondra : « Regarde :
je ne faisais rien, et c'est justement par là que nous différons, toi et moi, l'un
de l'autre. Tu t'imagines que pour entendre un chien aboyer, et pour compren-
dre que c'est un chien qui aboie, tu n'as rien à faire ? Erreur profonde ! Tu
donnes, sans t'en douter, un effort considérable. Il faut que tu prennes ta
mémoire entière, toute ton expérience accumulée, et que tu l'amènes, par un
resserrement soudain, à ne plus présenter au son entendu qu'un seul de ses
points, le souvenir qui ressemble le plus à cette sensation et qui peut le mieux
l'interpréter : la sensation est alors recouverte par le souvenir. Il faut d'ailleurs
que tu obtiennes l'adhérence parfaite, qu'il n'y ait pas le plus léger écart entre
eux (sinon, tu serais précisément dans le rêve) ; cet ajustement, tu ne peux
l'assurer que par une attention ou plutôt par une tension simultanée de la
sensation et de la mémoire : ainsi fait le tailleur quand il vient t'essayer un
vêtement simplement « bâti » -, il épingle, il serre autant qu'il peut l'étoffe sur
ton corps qui s'y prête. Ta vie, à l'état de veille, est donc une vie de travail,
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